Histoire de Whippet

« À la fin de l’été je vais surement être aussi bronzé.e que toi hein ! »

« T’es belle pour une noire ! »

« Franchement, on ne peut plus rien dire sans que ce soit du racisme ! »

« Les enfants et les femmes en premiers, les personnes blanches après et les noir.e.s par la suite s.v.p. »

 

Quatre phrases que j’ai déjà entendues ou lues au cours de ma vie. En tant que personne qui lit ces phrases, est-ce qu’il y en a parmi celles-ci qui te choquent davantage ? Qui sonnent plus légères et amusantes ? Que tu as  peut-être déjà prononcées ? Probablement. 

 

Laisse-moi te partager une histoire; tranches de vie d’un Whippet.

 

Elle a grandi au sein d’une famille ethnique; ses parents ont choisi de faire leur nid au Québec il y a plusieurs années. Elle est née ici, a grandi à Montréal-Nord auprès d’une famille aimante, de personnes chaleureuses, un peu à l'abri de tout ce qui dépassait de la cour d’école et les murs de son petit 4 et demi douillet. Elle a vu ses parents travailler en acharnés afin de pouvoir lui offrir une belle vie. À Montréal, elle a côtoyé des enfants de toutes les couleurs, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Du ra-quoi ? Ça n’avait jamais effleuré ses oreilles ou sa pensée qu’il était possible de « discriminer ». Elle se souvient que les personnes étaient portées à aller vers elle; elle rayonnait par sa joie de vivre, son sourire, son sens de l’humour.

 

Ça s’est corsé lorsqu’elle a déménagé, lorsqu’elle a dû, malgré elle, quitter son nid douillet pour aller vivre dans une région plus éloignée. Elle se rappelle, encore aujourd’hui, avoir visité la maison d’une famille qui habitait clairement cette ville depuis longtemps, d’entrer chez ces personnes et de sentir leurs regards sur elle et ses parents. À ce moment, elle s’était dit qu’elle était chez des personnes inconnues en pleine heure de souper, qu’elle et ses parents interrompaient probablement leur train-train quotidien et que ça devait être pour ces raisons qu’elle sentait cette lourdeur dans l’air. Après tout, pourquoi ce serait autre chose ?

 

Puis, elle intègre sa nouvelle école. Elle doit se faire un nouveau cercle d’ami.e.s : elle n’a pas peur. Après tout, elle avait tellement d’ami.e.s à Montréal ! Ce sera un jeu d’enfant ! Mais plus le temps avance, plus elle sent cette même lourdeur, le regard silencieux, mais bruyant des élèves sur elle. Elle se questionne : « Est-ce que j’ai quelque chose de coincé entre les dents ? », « Pourtant j’ai mis du déo aujourd’hui ? ». Elle se sent perplexe. Personne ne va vers elle. Elle se sent petite. Elle comprend de moins en moins et ça la dérange. Ça doit être ses vêtements et son « accent » (pourtant les enseignant.e.s soulignent sa belle élocution!) : changeons ça! Ah bien tiens, ça aide on dirait. « Salut, d’où viens-tu toi ? » humm…drôle d’adon.

 

Au secondaire, c’est là qu’elle a compris. Elle aperçoit trois autres filles qui lui ressemblent ; elle sent la même confusion, le même poids des regards sur elles. C’est là qu’elle a réalisé qu’elle était différente. Et pas juste à cause de son accent ou de ses vêtements. Mais surtout, que malgré sa joie de vivre, son sens de l’humour, son sourire et son énergie, ce n’était pas assez pour fit in. C’est une chose de prendre conscience de sa différence, de son unicité, mais ça en est une autre de réaliser que malgré toutes nos qualités, les regards s’arrêtent uniquement à la différence. À une couleur. Et ça, ça fait naître un sentiment ravageur : l’impuissance.

 

« Tu dois te mouler », « Tu dois parler comme eux », « Tu dois t’habiller comme eux », « Tu dois rire des blagues ou des commentaires déplacés quant à ta différence ou celles des autres », « Tu ne dois jamais t’insurger, sinon, on va te rejeter ». Et toutes ces phrases, elle les intègre et les prend pour vérité. 

 

Alors petit à petit, elle a commencé à se mettre de côté, à jeter aux poubelles les parties d’elle-même qui étaient tant adorées par ses parents, ses ancien.ne.s ami.e.s, pour devenir Whippet. Parce que « tasse ça de là ton enrobage brun, nous ce qui nous intéresse c’est la guimauve blanche au milieu ». 

 

« Tu parles donc ben bien pour une noire » : cool, j’ai eu une job. 

« J’ai toujours voulu essayer de fréquenter une noire » : cool, j’ai eu un chum. 

« C’est l’fun parce qu’avec toi, on ne prend rien au sérieux pis tu comprends que c’est drôle des blagues racistes » : cool, j’ai un cercle d’ami.e.s.

 

15 ans plus tard, Whippet a toujours de la difficulté à croire que c’est possible qu’on l’aime au complet : coquille chocolatée et guimauve. Elle y pense parfois à deux fois avant de publier des articles qui parlent de racisme par peur que ses ami.e.s la rejettent. Parfois, Whippet elle est moins game de lever sa main pour dénoncer, pour ne pas qu’on la mette dans le moule de la angry black woman et qu’on la tasse.

 

 Avec le mois de l’histoire des noirs qui s’est terminé en février et la Journée internationale pour l’élimination des discriminations raciales qui arrive, c’est important d’en parler. Parce que oui, parmi les 4 phrases du début, il y en a peut-être qui te paraissent moins pires, moins blessantes, mais ce qu’il faut comprendre, c’est qu’elles ont toutes le même impact à force de les entendre et de se les faire répéter. Elles invalident, elles rabaissent, elles discriminent. Ces phrases portent avec elles un message sombre et parfois destructeur, celui de devoir cacher ou mettre de côté ce qui nous rend unique pour pouvoir être accepté.e. De l’amour conditionnel. Puis ça, ça fait des dommages longtemps.

 

Si je suis capable d’écrire tout ça aujourd’hui, c’est uniquement parce qu’à travers toutes les fois où j’ai pu entendre des commentaires comme ceux-là, j’ai quand même connu quelques personnes qui ont simplement su entendre mon malaise et le valider. Des personnes qui m’ont donné le droit de ne pas être confortable avec ça et qui, même si elles ne comprenaient pas, ont pris la peine de simplement écouter. Des personnes qui m’ont permis de me trouver belle pas seulement MÊME SI je suis noire, mais PARCE QUE je suis noire. Des personnes qui ont dit un jour à Brigitte que sa joke de bronzage, ben elle n’était pas drôle. D’autres personnes qui se sont mobilisées pour comprendre que même dans une guerre affreuse, le racisme peut encore se frayer un chemin.

 

Finalement, je crois que c’est réellement comme ça qu’on va réussir un jour à défaire ces « bobos » de société-là : se donner le droit de ne pas tout savoir, de ne pas tout comprendre, mais prendre le temps de s’informer. Ne pas se contenter d’entendre, mais bien d’écouter pour vrai.

 

Pis à toi, cher(ère) Whippet qui est peut-être tombé.e sur mon texte et qui se reconnaît, sache que t’es pas seul.e là-dedans et qu’il y a aussi des professionnel.le.s qui ne comprendront peut-être jamais à 100%, mais qui vont t’écouter et te valider dans ce que tu ressens. Puis ÇA, c’est la première étape pour t’aider à réaliser qu’avec ou sans guimauve, du chocolat ça reste bon en ta.

Heicha

Heicha est une criminologue passionnée et engagée dans l’accompagnement des personnes vivant des difficultés personnelles et sociales.

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