Profession : criminologue

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C’est à l’été 2011, pendant mon road trip dans l’ouest américain, que j’ai décidé de « flusher » la psychoed (voie habituelle et logique après les études collégiales en éducation spécialisée) au profit de la crimino. Comme ça, par instinct, sans trop savoir en quoi ça consistait. Installée dans un Starbuck pas trop loin de Las Vegas, j’utilisais allègrement le Wi-Fi pour des futilités, quand je me suis rappelée qu’un jour j’allais revenir à ma réalité montréalaise et que je m’étais inscrite à l’université pour la session d’automne. Mais ma petite voix intérieure me disait que la psychoed était la voie du « il faut » et non la voie du « j’ai vraiment envie de ». « Il faut » parce que c’est ce que font la plupart des TES (techniciens en éducation spécialisée) qui veulent continuer leurs études; ils s’inscrivent en psychoéducation. Mais moi je ne le sentais pas. C’était peut-être l’air du Nevada, le vent de liberté, le sentiment de « j’ai la vie devant moi et tout est possible », j’en sais rien.  Donc, comme ça, sur un coup de tête, j’ai écrit un courriel au service de l’admission de l’Université de Montréal pour demander s’il était possible de changer mon choix de programme. J’avais envie d’étudier ça moi, « le criminel », cet être intriguant, ce bum, ce torturé, ce hors-la-loi. Ça me fascinait. J’avais envie d’être cool, je voulais faire ma tough et travailler avec les toughs.  J’allais être la spécialiste des spécialistes et conseiller les enquêteurs les plus chevronnés dans leur poursuite des criminels les plus notoires.

 

Bon, ça a pris à peu près 37 secondes de mon premier cours d’« Introduction à la criminologie » pour que je relativise ma vision. Disons que j’allais peut-être être un peu moins cool que dans ma tête et que les cas les plus notoires que j’allais voir allaient être des « vendeux de pot de Saint-Pataclas-dans-le carré». On m’a rapidement informée que le métier de « profiler » (comme dans les bonnes séries policières américaines), relevait du domaine policier et non criminologique et qu’ils étaient 50 dans le MONDE ENTIER à l’exercer. Bon, j’allais être la spécialiste des spécialistes des « pushers » de Saint-Pataclas de Machin et c’était ben correct.

 

Bon an, mal an, j’ai poursuivi mon bacc et je n’ai jamais regretté mon choix. J’ai appris les bases de la justice criminelle (avec le meilleur; props à Richard Therrien), à lire un code criminel et à savoir ce que voulait dire « jurisprudence ». J’ai aussi pu me plonger dans la sociologie, l’histoire et les différentes théories de la délinquance et répondre à des questions comme : est-ce que l’on nait criminel ou on le devient ? J’ai appris sur la victimologie, l’existence du CAVAC et la déficience du système de justice envers les victimes d’actes criminels. J’ai fréquenté le passage obligé de la méthodologie quantitative et qualitative et compris l’importance de la rigueur scientifique. C’était intéressant, mais j’avais clairement plus d’habiletés pour le côté clinique de la criminologie que pour le côté recherche. Ce qui m’appelait surtout c’était l’aspect psychologique, de comprendre « le criminel » et de l’aider. Tendre la main aux mal-aimés de la société, à ceux qui font du mal parce qu’ils ont mal aussi, à ceux que l’on tasse et qu’on ne veut plus voir, à ceux qui dérangent. Décortiquer et comprendre les facteurs qui les ont amenés à poser des gestes parfois très graves et parfois moins, des gestes qui ont malgré tout des impacts au rayon plus large que l’on pense, des impacts sur « le criminel » lui-même, sur son entourage, sur les victimes et leur entourage, sur la population générale, sur leur sentiment de quiétude et même sur des décisions politiques et des choix de société. Je voulais aider des humains (parce que c’est ce qu’ils sont d’abord et avant tout, avec leurs parts d’ombre et de lumière), aider des gens qui attirent moins la sympathie, mais qui ne souffrent pas moins pour autant.

 

Je ne travaille pas avec une veste pare-balles et mon boss ne m’appelle pas sur mon cellulaire en pleine nuit pour que je me rende sur une scène de crime. Je suis parfois allée sur la route pour rencontrer « mes gars » chez eux, au lieu de faire notre rencontre du mois au bureau, mais la réalité, c’est que la plupart du temps, j’ai été assise dans mon petit bureau à lire ou à rédiger des évaluations criminologiques. Oui, j’ai déjà eu la surveillance (lire ici : vérifier ponctuellement que la personne respecte les conditions imposées par la Cour) de personnes qui ont commis des meurtres, mais j’ai beaucoup plus suivi des personnes qui s’étaient battues dans un bar ou qui avaient vendu des amphétamines pendant quelques mois. J’ai rencontré quelques femmes qui ayant contrevenu à la loi, mais j’ai eu beaucoup plus d’hommes assis devant moi. Beaucoup d’observations, beaucoup d’analyses, beaucoup de paperasses. Aider des gens qui ne te demandent pas d’aide. Travailler dans des milieux stricts, rigides et contrôlés. C’est pas mal plus ça, la job de criminologue. Je me tanne de la rigidité, des délais impossibles à respecter, du contrôle et de la disproportion de paperasse comparée au temps de rencontre avec les gens. Finalement, je n’aurais pas voulu être « profiler ».

 

Ce dont je ne me tanne pas, par contre, c’est de l’humain. De sa complexité, de sa beauté comme de sa laideur, et de ses ressources intérieures. Je ne suis peut-être pas LA spécialiste des spécialistes des meurtriers en série, mais je suis une des spécialistes de l’intervention humaine. Ça, je peux l’affirmer. Après quelques années, c’est ce qui fait que j’ai toujours envie de poursuivre mon chemin professionnel en criminologie. C’est qu’au-delà de la raison première pour laquelle je te rencontre, tu es un humain comme n’importe quel autre humain. Tu as des peurs, des besoins, des désirs; tu souffres et parfois tu t’engouffres. Je veux t’écouter et t’accompagner là-dedans; je veux t’aider. Sincèrement.

 

En route vers Las Vegas, en regardant le désert défiler avec mon Starbuck dans les mains, je ne savais pas encore que j’avais fait un choix de cœur et que j’avais bien fait.

Maude

Maude est une criminologue exerçant dans la sphère privée. Elle se spécialise dans la rédaction de rapports d’évaluation criminologique et se passionne pour la réinsertion sociale et l’intervention auprès des hommes judiciarisés.

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